Carretera Austral – Ruta 7

14/02/17

Départ de Futaleufu vers 11 h sous un ciel magnifique et une chaleur montante. De nouveau 75 km de piste dégueu mais toujours ce paysage enchanteur qui me fait vite oublier les vibrations incessantes provoquées par l’état du chemin.

 

 

J’ai maintenant un comparse allemand aussi fan de piste que moi ; cela nous vaut des discussions interminables sur nos préférences de conduite pendant nos pauses déjeuner (manjar pour moi, saucisse pour lui…).

Retour à l’asphalte et à la Carretera Austral. Un petit signe de compassion aux auto-stoppeurs à la recherche d’ombre et nous voici relancés sur cette route mythique. Direction Coyhaique à environ 400 bornes de là.

Le goudron nous lâche après seulement 40 bornes. Nos 160 km suivants se feront sur piste.

Gravillonneuse et glissante, sableuse et molle, rocailleuse et déportante, boueuse et pleine d’ornières, succession de tôle ondulée et de nids de poule (voire de trous béants…), poussiéreuse et aveuglante, la ruta 7 et tous ses pièges exigent une concentration maximum au guidon ; c’est épuisant mais cela satisfait pleinement mes attentes techniques.

C’est surtout dans les paysages qu’elle propose que la belle révèle ses bons côtés. Les alentours sont d’une beauté époustouflante. Les glaciers commencent à apparaitre au loin alors que nous longeons plusieurs rivières d’un bleu piscine aguicheur ; tout est vert et luxuriant. Les montées et descentes de collines se succèdent, offrant à chaque virage une nouvelle vision enchanteresse. Je vois défiler tant de beauté que les arrêts contemplatifs se font de plus en plus nombreux. Dur de rester concentré sur la route et d’apprécier la vue en même temps.

 

 

Il est environ 18 h lorsque j’aperçois une estacade sur le bord du lac que nous longeons depuis un moment. Je freine un peu brutalement et dérape de l’arrière pour ne pas louper le petit chemin à peine visible qui semble y conduire. Cela me vaut d’ailleurs une remarque du rider teutonique qui se plaint de la poussière ramassée suite à ce freinage impromptu. Il me remerciera plus tard de m’être arrêté là.

Le chemin s’enfonce dans une petite forêt assez dense qui laisse entrevoir le bleu du lac derrière les troncs désordonnés. Fin du chemin. Petite clairière. Table et bancs ! Robinet ! Nous descendons de nos machines en nous regardant, incrédules. Le robinet fonctionne. Un spot de camping caché !

Je me lance à la recherche du ponton que j’ai aperçu depuis la route ; le lac est tout près, je tombe dessus sans trop de mal. C’est sublime. Avancée sur le lac, bois flotté sur la rive, montagne des deux cotés, on a vraiment le cul bordé de nouilles. Ou bien est-ce la récompense, accordée par un dieu des motards compatissant, pour nos 5 heures de piste harassantes ?

 

 

Je pars explorer les environs. La forêt, baignée d’une lumière diffuse de fin de journée, se laisse transpercer par les derniers rayons de soleil. Magique.

 

 

Je fais aussi mumuse avec une araignée sous amphétamines et reviens préparer le diner avec Oliver. Au menu, pâtes, oignons et… saucisses.

 

 

Le temps commence à se couvrir.

Je m’endors sans peine bercé par le doux son de la pluie dans la forêt. Je suis réveillé en pleine nuit par un bruit étrange qui semble proche mais que je ne parviens pas à identifier. Ça attendra demain ; hors de question que je sorte un cheveu de mon duvet, il fait trop froid.

15/02/17

À mon réveil, je m’aperçois que mon matelas et mon duvet sont mouillés. Soit je retombe en enfance, soit je suis beaucoup plus vieux que je le pensais… Mais non ! Le bruit étrange émanait en fait d’un des arceaux de la tente qui a cassé ; du coup tout un pan de l’igloo est venu se coller à la paroi interne et la pluie s’est infiltrée sur tout mon côté de la tente. Je me disais aussi que ça c’était vachement rafraîchit…

Je sors les affaires et remballe le tout encore humide en espérant trouver une solution à Coyhaique.

Donc, départ sous la pluie ce matin. Nous roulons doucement mais Coyhaique semble envisageable. Environ 220 km dont 100 de piste, nous dit la carte. La carte nous ment : 190 km de piste ! Pas grave, on aime bien.

D’autant que les nuages gris donnent aux paysages une dimension plus profonde et plus mystérieuse, plus authentique aussi que les ciels inévitablement bleus des cartes postales.

 

 

Pendant une vingtaine de kilomètres après Puyuhuapi, la route suit l’océan (enfin, ça fait un peu comme un lac parce qu’il y a plein d’îles en face), coincée entre le rivage et la montagne. J’ai adoré ce passage ; je l’ai trouvé très poétique, en harmonie avec les chansons de Violetta Parra dans mes oreilles.

 

 

La pluie nous accompagne de collines en collines et nous nous enfonçons toujours plus vers le sud. Les distances entre les villages s’allongent. Nous croisons moins de voitures. Moins de pompes à essence aussi. Les paysages me font penser à la Suisse.

 

 

La pluie s’arrête enfin en milieu d’après-midi et des taches de ciel bleu commencent à parsemer le gris des nuages.

Vers 18 h, nous voyons enfin apparaitre Coyhaique, dernière grande ville de la Carretera. Nous cherchons un hostel, bien décidés à prendre une douche chaude et à faire sécher nos affaires. Premier essai, complet ; deuxième, pareil ; troisième idem. “C’est la haute saison” nous explique-t-on. Nous trouvons finalement une chambre dans une pension sur les hauteurs de la ville. Enfin, la douche chaude tant attendue et nécessaire vu l’odeur qui règne dans la chambre…

Petit tour en ville pour aller dans une boutique de camping et voir s’ils vendent des arceaux de tente. Ils en vendent… avec une tente. Je rachète donc un nouvel appart’, plus petit mais mieux agencé. Nous décidons d’aller faire un vrai repas, accompagné d’une bonne bière, dans un boui-boui de l’avenue principale. Ça passe tout seul, nous avons même droit à un impressionnant concert à 10 guitares.

Une bonne nuit par-dessus tout ça et retour à la route. Sous la pluie…

16/02/17

Une fois de plus les paysages nous font oublier le temps et la fatigue. Nous déjeunons allègrement sous un abribus en laissant le temps à nos gants de sécher un peu (espoir bien illusoire).

 

 

La pluie s’est arrêtée. Nous poursuivons. Les deux heures qui suivent sont un pur moment  d’exaltation sur la piste. La pluie a rendu le sol lisse et stable, ce qui nous permet de nous tirer une grosse bourre (enfin grosse bourre, ça veut dire 80 km/h au lieu de 50). Les virages sont inclinés comme dans un vélodrome et le parcours semble tiré d’un jeu vidéo.

Que du bonheur !

Après cet orgasme routier nous débouchons sur le plus grand lac du Chili (qui est aussi à moitié argentin), le Lago Gral Carrera. Nous sommes obligés de nous arrêter tellement le bleu du lac semble irréel.

 

 

Nous continuons à le longer jusqu’à Puerto Rio Tranquilo qui n’est pas “tranquilo” du tout puisque c’est le point de départ des fameuses grottes de marbre. Attraction touristique beaucoup trop chère à mon gout pour de simples cailloux… Saucisse-man est d’accord et nous décidons donc de nous excentrer dans un petit camping à la sortie de la ville. Je teste ma nouvelle tente et j’en suis ravi. La nuit est très froide, je dors avec T-shirt, pull en yak, bonnet et caleçon long. La Patagonie commence à s’insinuer en moi.

17/02/17

Le jour se lève et je n’ose quitter mon duvet. Je discute donc de tente à tente avec Oliver qui pense rejoindre la frontière à Chile Chico aujourd’hui. Pour ma part, j’irai au bout de la route à O’Higgins.

Douche froide ? Non pas là, non. Nous chargeons les motos et repartons.

La Carretera se dessine devant nous comme une cicatrice sur le flanc des collines verdoyantes.

 

 

Voici maintenant plus de 600 bornes que nous sommes sur la piste ; j’ai les cervicales endolories et des contractures aux épaules. Du coup je décide de mettre ma playlist “classiques à chanter” pour détourner mon attention de ces problèmes physiques. “Le Sud”, “Emmenez-moi”, “Armstrong”, “Mistral gagnant”, tout y passe… et ça marche, la douleur s’amenuise puis devient un souvenir.

Il semble que nous prenions de l’altitude aujourd’hui. Les rivières me paraissent plus lointaines, les ravins plus profonds et les nuages plus proches.

 

 

Nous arrivons à la fourche où nos chemin divergent et décidons de déjeuner avant de nous séparer.

 

 

Cela laisse le temps à Oliver de voir que tous les véhicules, y compris un énorme troupeau de motards, se dirigent vers O’Higgins. Il fini par me demander ce qu’il y a à O’Higgins. Je lui réponds qu’il y a la fin de la route. Il hoche la tête avec une moue approbative. Il va bidouiller son GPS deux minutes et revient, sa saucisse toujours à la main, en me disant : Fuck it, i’m going to O’Higgins ! Un Allemand qui change son itinéraire, c’est pas tous les jours qu’on voit ça…

En route pour O’Higgins donc ! Dernier plein à Cochrane où nous cherchons des pneus pour remplacer l’arrière qui commence à être fatigué.

 

 

Non, nous répond-on, plutôt à Coyhaique…  Ça tiendra jusqu’au retour. Nous hésitons à passer la nuit ici mais la route est longue demain (environ 250 km, toujours de piste) et nous décidons de prendre une cinquantaine de kilomètres d’avance.

Nous ne trouvons pas le camping que nous avions repéré sur la carte et continuons à rouler. La nuit commence à tomber et il n’y a vraiment rien par ici. Nous persévérons et apercevons finalement un petit panneau en bois portant la mention  “camping”. Un papé nous accueille et nous dit qu’on peut se mettre où on veut. Ce n’est pas vraiment un camping mais plutôt un terrain qu’il rentabilise. Cela dit, l’endroit est incroyablement beau. Cernés par les montagnes et bercés par une rivière, nous plantons nos tentes en espérant que la pluie s’arrête.

 

 

Nous nous rendons compte que les tentes d’un groupe de cyclistes occupent l’autre coté de la propriété. Deux argentins, un italien, un allemand et une française, tous les cinq dans la cinquantaine. Ils se sont rencontrés en chemin et font la route ensemble. Ils nous offrent la soupe et nous discutons de nos expériences respectives autour de… rien puisqu’il pleut et que le feu n’est donc pas envisageable.

La nuit est tombée et nous laissons les cyclistes à leur discussion pour rejoindre les bras de Morphée.

18/02/17

Je me réveille au son de la pluie qui tambourine sur la tente ce matin encore. Sorti du duvet par une furieuse envie de pisser, j’y retourne sans attendre vu la température ambiante.

Les cyclistes sont sur le départ. Je les observe depuis ma tente en me disant qu’ils sont vraiment courageux. Je les admire. Je me rendors.

Peu de temps après j’entends la voix lointaine d’Oliver (nous sommes désormais passés maîtres dans la discussion de tente à tente) me dire qu’il faudrait peut être y aller si nous voulons arriver à O’Higgins aujourd’hui. Je m’enfonce dans mon duvet et rabat la capuche sur ma tête avec un soupir dépité… Je regarde l’heure. 10 h 50. Il n’a pas tort. Allez, on se motive. Je m’habille. Tout est froid et humide. Mon blouson n’a pas séché. Tant pis. C’est reparti.

35 bornes jusqu’au ferry qui nous transporte de Puerto Yungay jusqu’à un Rio Bravo de l’autre coté du lac, où reprend la Carretera. Nous sommes fatigués, trempés et contents !

 

 

Nous rencontrons un groupe de 4 motards qui ne tarissent pas d’éloges sur nos motos. Le trajet dure une bonne demi-heure et malgré la pluie incessante tout le monde a le sourire. L’effet Carretera Austral

Plus que 128 bornes jusqu’à O’Higgins, nous y sommes presque. La piste est bordée de cascades qui recrachent tout ce que la pluie leur a fait boire.

Le paysage est devenue tropical ; la route semble sous la férule d’une forêt tentant de l’étouffer insidieusement ; la piste est haute et très rocailleuse mais la proximité de l’arrivée nous incite à ne pas ralentir.

Enfin nous y sommes. La ville est déserte. Pas un chat dans les rues.

 

 

 

Nous cherchons un endroit où dormir et prendre une douche chaude mais tout est complet. Après sept refus, nous trouvons une place dans un camping à l’entrée de la ville. On nous explique qu’il y a une fête au village et que tout le monde est là-bas.

Nous apprenons aussi que le bout de la route se trouve en réalité 9 km plus au sud. Ça attendra demain. Nous allons faire le plein et décidons d’aller jeter un œil à la fiesta. En guise de fiesta, pas grand chose à voir, plutôt des éleveurs venus vendre leurs bêtes autour d’un asado.

 

Nous buvons une bière et repartons vers la douche chaude tant attendue. Elle a raison de nos dernières forces. Un rapide diner dans le réfectoire du camping où un poêle surchauffe la pièce. Nous mettons nos affaires à sécher devant et préparons à manger. Soupe pour moi, éternelles saucisses pour Her Oliver.

Il devrait faire moins gris demain. Espérons.

19/02/17

Enfin un peu de bleu, mais alternant toujours avec la pluie.

 

 

Oliver est KO et moi aussi. Nous passerons donc la journée sur place à nous reposer. Ultime effort pour aller au bout de la route. Oliver n’a pas la force, je me lance donc seul sur les derniers kilomètres qui longent le lac O’Higgins, un rayon de soleil se fraie un chemin à travers les nuages pour mon arrivée. La classe…

 

 

21/02/17

Oliver et moi, nous nous sommes séparés à Cochrane en fin de matinée. Je voulais aller voir de plus près le glacier signalé par l’un de nos cyclistes au bout de la x-901. Oliver, lui, désirait passer la frontière à Chile Chico, espérant trouver un endroit où changer de l’argent en pesos argentins car, une fois la frontière passée, la première chose à faire est de trouver de l’essence et, en Argentine, les machines à cartes ont une fâcheuse tendance à être en panne… Le plan était donc qu’Oliver m’envoie un message pour me dire ce qu’il en était à Chile Chico. Je prendrai de mon côté le poste frontière plus au sud pour compenser mon détour. Nous nous sommes donc donné rendez-vous à Bajo Caracoles, sur la ruta 40, et avons filé chacun de notre côté.

J’ai tellement bien fait d’aller voir cette route… L’endroit est splendide, je suis seul, le glacier Cayuqueo est d’une beauté à couper le souffle. Je déjeune en face de cette merveille et repars sous l’aile d’un arc-en-ciel. Instant de grâce.

 

 

De retour du glacier, je repasse à Cochrane pour capter un réseau et voir si Oliver m’a laissé une message. Rien.

Google m’annonce 3 h 45 de piste de Cochrane au poste frontière Paso Roballos. Il est 16 h. Les postes frontières ferment, en général, à 20h. J’suis large…

Tôle ondulée profonde, moult virages, montées et descentes (avec des panneaux étranges…) sur le trajet jusqu’au poste toujours au milieu de paysages pittoresques et grandioses.

J’arrive au poste frontière en 1 h 20 ✊🏻.

Pas de réseau, pas de wifi, donc pas de news d’Oliver.

La voiture devant moi au poste est la première que je vois depuis mon départ de Cochrane.

— Hola. Passeport. Carte grise.

— Oui, la moto vient de France.
Sourire. Tampons. Gracias.

Poste chilien passé. 11 km jusqu’au poste argentin. Je me lance. Dépasse la voiture au bout de 3 km et là, grosse rafale de vent de bienvenue. Je réduis ma vitesse et admire le changement de paysage et les magnifiques couleurs des falaises alentours avant d’arriver à destination. Les rafales se font de plus en plus violentes, à tel point que je suis obligé de garer ma moto face au vent pour qu’elle ne bascule pas. Je remarque les arbres autour de moi et commence à m’interroger pour la suite…

Le carabinero, qui trône en maître devant un petit bureau vide, a l’air tout droit sorti de l’école.

— Hola. Passeport. Carte grise. Permis de conduire. Assurance. Permis international.

— ¿De donde vienes?

— Ben, du Chili…

Il m’observe et sentant que sa question n’a pas trop de sens, il ouvre lentement un tiroir et en sort deux formulaires identiques. Il continue à me regarder en ouvrant lentement un second tiroir et en sort un papier carbone qu’il manie avec délicatesse pour l’intercaler entre les deux formulaires. Il cherche machinalement un stylo dans sa poche de chemise, sans succès. Il ouvre alors un troisième tiroir, pas de stylo. Il me fixe, l’air décontenancé, puis se lève et part dans la pièce adjacente.

Il revient triomphant, un stylo à la main. Il se penche alors sur sa copie, en veillant à ce que les coins se superposent parfaitement, et commence à parcourir du regard tous les documents étalés devant lui en cherchant le numéro de ma plaque. Il me demande si c’est bien ce numéro. Non, ça c’est mon numéro de permis. Putain, je suis tombé sur une flèche…

Je lui demande s’il veut que je remplisse les cases pour aller plus vite mais non, il ne veut pas. Il s’applique à chaque lettre, tel un escargot en plein sprint, pour être sûr que le carbone transmet bien ses exploits scripturaux à la feuille du dessous et que son écriture est lisible sur les deux formulaires. Il y a une vingtaine de cases à remplir…

Je surveille par la fenêtre que ma moto tient le coup face aux bourrasques. Je décide de m’asseoir — à défaut de pouvoir m’allonger — et d’estimer mon temps de trajet jusqu’à Bajo Caracoles à l’aide de ma carte. 110 km de piste. Il est 18 h. Si j’arrive à rouler à 50 km/h, je devrais y être aux alentours de 20h. C’est jouable. Pine d’huitre arrive finalement au bout de son formulaire et me souhaite bon voyage.

Je reprends la route. Paysage exceptionnel sous la lumière qui commence à raser les falaises. Plus de rivière, plus d’arbres, seulement une maigre végétation désertique poussant chichement au milieu des cailloux.

La piste est mauvaise, sableuse et rocailleuse, tôle ondulée profonde. Instable. Confronté au vent qui me déporte constamment, je me rends compte au bout d’une dizaine de kilomètres que ma moyenne va plutôt tourner autour des 30 km/h… Rapide calcul. Ça pue. Je vais devoir rouler de nuit car il n’est pas question de planter la tente et de laisser la moto béquillée sur du sable avec ces rafales, si elle tombe dans la nuit, je suis baisé car le réservoir se videra et je me retrouverai sur une route quasiment déserte (tout le monde passe par Chile Chico), une moto sans essence, deux sacs, un trépied et deux sacoches latérales à trimbaler sur je ne sais combien de bornes en plein cagnard. Non.

La route est épuisante ; les vibrations du moteur ajoutées à l’instabilité du sol, aux rafales et au soleil qui descend de plus en plus, entament méchamment mon moral. Je regarde le compteur bien trop souvent et les kilomètres ne défilent pas. L’horizon a bordé le soleil, les aspérités de la piste deviennent moins visibles. Je continue. Me voici entre chien et loup, dernières lueurs derrière moi, nuit tombante devant et désert sur mes deux flancs. Je dois m’arrêter. Mon corps n’en peut plus. J’ai besoin d’une pause. Mes yeux sont secs à force de fixer attentivement la piste et la tôle ondulée m’a tassé la colonne. Je plonge la main dans mon top-case pour chercher un paquet de gâteaux dans mon sac de bouffe et me retrouve les doigts plantés dans une substance collante et molle. Le pot de manjar a explosé avec toutes les vibrations et bosses que j’ai subies. Ça ne m’atteint pas. Je me lèche les doigts. Faut pas gâcher. Je trouve la bouteille d’eau, me rince, bois un coup et repart. Ça y est, il fait nuit. Ma vitesse est descendue à 15 km/h et mes phares ne me renseignent que faiblement sur les détails de la route. Je m’arrête de nouveau, m’étire, scrute la nuit à la recherche de lumières pour me donner du courage. Rien. Je remets le contact et j’aperçois furtivement les phares d’une voiture le temps d’un battement de cils. Espoir. Je roule un petit kilomètre et en arrivant en haut d’une montée, je tombe sur… l’asphalte. Enfin ! Je suis sur la ruta 40, à une dizaine de bornes de Bajo Caracoles. Je rassemble mes dernières forces et avance face au vent une dernière fois. Je passe une colline et aperçois trois lumières au loin. J’y suis. J’avance lentement jusqu’a la station essence/café/motel qui fait instantanément jouer “i’m calling you” (BO de Bagdad Café) dans ma tête.

Je me gare. Coupe le contact. Il ne faut que quelques secondes pour que j’entende crier derrière moi. C’est Oliver qui arrive, courant vers moi en hurlant : “you made it !!!”

Ahahah, je suis content de le voir.

Il est 22 h.

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