On the road again
23/11/17 Mendoza et Uspallata, Argentina
Mes yeux s’ouvrent vers 6 h 30. Il fait déjà chaud. J’ai dormi en T-shirt et jogging par dessus les draps, n’osant me mettre à l’intérieur. Le jour traverse déjà les épais rideaux en toile de sac à patates. J’hésite à replonger mais mon cerveau s’est déjà enclenché et le planning des tâches de la matinée commence à se mettre en place. L’agence pour l’assurance ouvre à 9 h. J’ai le temps d’écrire un peu et de prendre le petit déj’ qui est inclus. Ils savent y faire avec le client…
Je sors de ma chambre qui donne sur l’accueil. Enfin, l’accueil… La table où une espèce de créature sans âge, cheveux lissés et peroxydés, visage disgracieux, ressemblant à Amanda Lepore, passe sa journée sur youtube à regarder des clips de rap américain où les filles sont des putes et les mecs des gangsters. Ça colle avec le lieu. Café soluble, aspartame, pain de la veille et petit carré de beurre. Fallait pas trop en attendre non plus.
7 h 10. Bon. Ben voilà. Je n’ai plus qu’à attendre l’ouverture de l’agence qui se trouve à 5 minutes à pied. Je retourne écrire. En partant, la fée Carabosse me rappelle que je dois quitter la chambre à 10 h. Pas de soucis.
8 h 50. J’arrive devant l’enseigne. Il y a déjà quelques anciens, assis sur le rebord de la devanture, qui semblent avoir pris racine. Un agent de sécurité ouvre la porte à 9 h tapante. Je prends un ticket et attends mon tour. J’ai préparé les papiers de l’ancien contrat, il n’y a qu’à le renouveler. Bip. Mon numéro. Guichet 13. L’affaire prend 5 minutes. Me voici couvert. Je retourne à l’hôtel.
Message à Fabi. Je pars le retrouver à son boulot, chargé comme une mule. 3 km de marche. J’arrive quelque peu transpirant à son club de gym et l’aide à réparer une machine défectueuse.
Nous passons ensuite déposer quelque chose chez un ami à lui. C’est aussi un motard. Il me dit que c’est dommage que je parte aujourd’hui car la semaine prochaine ils vont en groupe chercher un pueblo fantasma construit autour d’une vieille mine. L’endroit est au nord-ouest de Mendoza à une centaine de kilomètres, perdu dans les montagnes. Il me montre des photos. Ça à l’air dingue. Je lui demande le nom. Il me dit que c’est à l’est d’un village nommé Uspallata. Mais ses indications restent floues. Je google-ise, mais rien à part Uspallata. Il me montre des sentiers sur la carte sans savoir vraiment où cela se trouve. Ça y est, j’ai mordu à l’hameçon. La curiosité s’empare de moi. Il me déconseille d’y aller seul. Il n’y a personne là bas, pas de réseau et des dizaines de pistes où l’on se perd facilement. Double hameçon… On ne peut pas dire à quelqu’un : « C’est super là-bas, mais n’y va pas. » Ça n’a pas de sens… Je dis oui, oui, pour les rassurer.
Fabi me parle d’un autre endroit dans les environs pour essayer de détourner mon attention. La Pampa del Leoncito. Grand lac asséché où je pourrai camper sans problème, semblable au Salar de Atacama en plus petit. Je note. Il me dit que je peux faire étape chez son pote Koky que j’avais rencontré en juin et qui a une maison avec un grand jardin où planter ma tente. Il l’appelle immédiatement. Koky ne sera pas là mais aucun soucis pour la tente dans le jardin. J’ai donc ma première étape : Potrerillos.
Nous repartons pour un magasin où je pourrai acheter un dérive-chaine et un nouveau bidon d’huile pour la route. Les prix sont quand même délirant en Argentine. En moyenne 60% plus élevés qu’en France sur tout ce qui est importé.
Nous nous rendons chez Fabi pour que je charge la moto. Bilan : il me manque encore un embout à gaz pour le camping, un Leatherman (beaucoup trop cher ici, environ 380 € pour le Wave), un thermos alu et un mini compresseur pour regonfler les roues en cas de “crevaison sans rien autour”…
Je charge méthodiquement la Wachita et enfile, pour la première fois depuis mon retour, mon pantalon de moto et mes bottes. Ça y est, je prends conscience en enfilant mon blouson que je pars seul pour l’inconnu. Petit vertige. Les idées se bousculent. Le bien, le mal, la vie, la mort, oui, non, peut-être… «Shut the fuck up and ride !».
Fabi me fait une bise, une accolade et je tourne la clé de contact. Enfin…
Je m’éloigne tranquillement de la civilisation pour ma première étape. Ruta 40 vers le sud puis je bifurque vers l’ouest sur la ruta 7 après une trentaine de kilomètres. Je retrouve la poussière et les paysages minéraux qui m’ont tant fait rêver. Encore une cinquantaine de bornes et Potrerillos est en vue.
Je trouve sans encombre la maison de Koky et savoure ce moment de déchargement. Je me rends compte que j’ai un peu perdu mes réflexes, mais peu importe, j’ai todo el tiempo del mondo. Je monte ma tente, sors mon matelas enfermé depuis trop longtemps, déploie mon duvet et roule mon poncho en guise d’oreiller. J’envoie un message à Koky pour le remercier et il me répond en me donnant le mot de passe du wifi… Dans la vie il y a des priorités.
Il est 17 h. Je lui demande où je peux trouver une bière fraiche. Il m’indique le chemin jusqu’à un mini-mercado. Je pars faire un tour en moto (allégée cette fois) dans les environs pour profiter de la sublime lumière de fin de journée. Les falaises et les montagnes sont pour la plupart d’une couleur ocre qui me fait penser aux peintures sur le visage des indiens d’Amérique.
Je tombe aussi sur de l’art comptant pour rien…
Au retour je passe par l’épicerie pour prendre ma bière. Il n’a que des 1 L. Ça fera l’affaire. Je sors mon sac de bouffe, mes clopes et mon ordi, me pose sur une table de jardin, ouvre ma bière et reprends mon récit là où je l’avais laissé.
Je me rends compte vers 1 h du matin que la bière a fait son effet et que je suis prêt à plonger dans mon duvet.
24/11/17 Potrerillos
Quel bonheur de me réveiller dans la tente. Je m’étire. Je garde les yeux fermés. Je savoure. J’entends du bruit vers la maison. Je sors de la tente et constate que Koky est arrivé pendant la nuit. Il m’invite à boire le café et nous discutons moto, paysage, déco. Je range mes affaires, plie la tente et le remercie pour son accueil. Nous partons ensemble. Nos chemin se séparent à la ruta 7. Il retourne à Mendoza et je pars à la recherche du pueblo fantasma. La route jusqu’à Uspallata est sublime. Chaussée impeccable, petit tunnel dans la roche, couleurs minérales extraordinaires. Belle matinée.
Petite pause au village pour l’essence et les vivres et me voici parti sur la piste vers la montagne. Je suis quand même bien lourd avec le pneu de rechange à l’arrière de la moto et je la sens chassante à l’avant. Je m’enfonce d’une vingtaine de kilomètres à travers ce désert bordé de montagnes où il n’y pas âme qui vive.
Soudain je tombe sur un panneau en bois dégradé : « cerro 7 colores. 1 km ». Dale.
J’arrive effectivement devant une colline bariolée de parme, émeraude, bleu ciel, rose et autres couleurs que je n’ai pas l’habitude de voir sur de la roche. C’est sublime.
Je poursuis mon chemin. Une fourche. J’emprunte la piste de gauche qui m’a l’air meilleure. J’avance encore quelques kilomètres pour arriver à une seconde fourche où se trouvent quatre camions militaires avec des hommes en tenue de combat, peinture sur le visage et mitraillette en bandoulière. Je ralentis, leur fais un signe de le main et les dépasse doucement en prenant la fourche de gauche. Coup de sifflet. Et merde. L’un d’eux vient à ma rencontre et m’explique que je dois rebrousser chemin car ils sont en plein exercice.
— Jusqu’à quand ?
— Encore deux jours.
— Et vous connaissez un village abandonné autour d’une mine dans le coin ?
— C’est plus loin à 5 km.
J’étais sur le bon chemin. Chier.
Je repars donc tout désappointé et m’arrête après une quinzaine de minutes à l’ombre d’un rocher pour déjeuner. Je réfléchis. Il est 14 h. Je n’ai pas de réchaud, pas de Leatherman, pas de mini compresseur, ce pneu arrière sur le top-case m’emmerde, je dois renouveler le visa de la moto qui expire dans deux semaines et je suis à 50 bornes de la frontière. En route pour Santiago. J’y ferai mes derniers achats (moins cher qu’en Argentine) et je poserai mon nouveau pneu.
Je préviens Javi que je reviens, je sais qu’elle y est cette semaine pour le boulot. J’arrive sans encombre vers 18 h 30. En plein trafic. Sans téléphone qui marche. Heureusement qu’au Chili il y a du wifi dans tous les parcs. Je trouve une auberge non loin de chez la sœur de Javi et décharge tout mon bordel. Demain, à la première heure, je file chez Mallsport acheter tout ce dont j’ai besoin.
25/11/17 Santiago
Rapide petit déj et me voici sur la route de Mallsport tout à l’est de la ville. C’est immense. Un centre commercial de deux étages dédié entièrement aux activités de pleine nature. Il y a même un mur d’escalade au milieu !
Je trouve tout ce dont j’ai besoin. Réchaud, thermos, Leatherman Charge Titanium.
Je file dans le quartier des motards pour changer mon pneu. Je demande aux alentours où je peux faire ça et on m’indique un garage à proximité. Le mécano peut me le faire tout de suite pour 15 000 pesos (20€). Très bien. Il emmène la moto dans l’atelier et m’invite à patienter dans la boutique. Il revient 10 minutes plus tard avec ma chambre à air à la main en me montrant un gros trou au niveau de l’embout. Je lève les sourcils incrédule. Il parle vite et me baragouine un problème avec le boulon au moment d’enlever la chambre. Je lui dis de me la remplacer. Il me dit que c’est 7000 pesos. Surement pas mon gars. Je suis arrivé avec une chambre en bon état il n’y a aucune raison que j’en paye une nouvelle. Il monte d’un ton en pointant du doigt le boulon et en disant quelque chose que je ne comprends pas. Google translate. TU ES UN ARNAQUEUR. Il commence à me prendre de haut et déblatère des choses incompréhensibles avec mon niveau d’espagnol. Il a quand même ma moto en otage et on parle de 10 balles… Je lui fais comprendre que ce n’est pas professionnel et lui dit de remonter le pneu. Il me propose la chambre à air à 5000 pesos. Vas-y, concha tu madre.
Je repars énervé et commence à chercher mon mini compresseur. On m’indique où trouver ça. C’est bon, j’ai tout. Je retourne à l’auberge et me lance dans un nouveau tétris-bagage. Vers 18 h, je rejoins Javi pour boire un verre. Nous passons la soirée dans un bar à discuter et je rentre me coucher un peu ivre.