Le chemin de croix de la selva

25 novembre 2018, en route vers la jungle

Cette fois, c’est la bonne. Adieu Santa Cruz. Je n’en puis plus de ta poisse. Je m’extrais ardûment du trafic matinal de la ville et rejoins la Ruta 9, au nord, qui m’emmène à 550 bornes de là jusqu’à Trinidad

Une fois sorti de la cohue citadine, le grand slalom entre les nids de poules commence. 500 km d’asphalte défoncée.

Je me prends au jeu en essayant constamment de trouver le bon ratio entre la vitesse acceptable en cas de freinage urgent et la vitesse nécessaire pour ne pas arriver en pleine nuit.

Contrat rempli, j’arrive à Trinidad avec le dernier rayon de soleil.

La ville est jolie. Je trouve un petit hospedaje avec climatisation car plus je me rapproche de la jungle, plus la température et l’humidité augmentent. J’ai même droit aux draps en zèbre…

Je vais grignoter un morceau dans un petit restaurant et passe un petit moment à discuter avec le chat qui “biglouche” en face de moi. (Oui, je parle couramment le chat. D’appartement et de gouttière).

J’aimerais profiter de ce moment pour vous parler des douches ici (et dans plusieurs autres pays du continent). La fameuse douche électrique. Tadaaaa !

Souvent pourvue d’un seul robinet, cette petite merveille de technologie contient dans son pommeau une résistance qui chauffe l’eau avant de la laisser sortir. Comme une bouilloire quoi. Cette résistance est elle-même connectée par des fils à un petit boitier électrique qui contient un fusible, des fois qu’il y aurait un court circuit ou que, par un hasard improbable, de l’eau vienne se déposer sur les fils dénudés qui pendent au dessus du mécanisme, on n’est jamais trop prudent.

Je donne ici la synthèse de nombreux mois d’études et d’échecs. Donc :

a/ Ne pas se déshabiller tout de suite, l’opération peut prendre du temps.

b/ Vérifier que les fils électriques ne pendent pas en-dessous de la pomme de douche, ça évite de mauvaises surprises.

c/ Vérifier que l’interrupteur de la boite à fusible est bien sur ON. C’est idiot, mais on n’imagine pas le nombre de fois où l’on peut croire que la douche ne fonctionne pas alors que l’interrupteur est simplement sur OFF…

d/ Ouvrir le robinet le moins possible, car, toute l’astuce est là, la résistance commence à chauffer lorsque l’eau arrive, avec un bruit crépitant bien particulier, et si le débit d’eau est trop élevé, la résistance n’a pas le temps de chauffer l’eau correctement. Pour une douche chaude il ne faut donc généralement guère plus qu’un filet d’eau. Voilà. Y’a pas de quoi.

26 novembre 2018, de Trinidad à Rurenabaque (croyais-je…) 

Après un succinct petit déjeuner, je quitte Trinidad sous un beau soleil. Avant, je tourne un peu en ville pour trouver de l’air pour mes pneus un peu dégonflés à mon goût. Une fois regonflé à bloc, je m’éloigne tranquillement de la ville. La vue commence à ressembler à l’idée que je me fais de la jungle. Route de terre, poussière, paysage vert offrant une végétation abondante, rivières marron. Tiens, en parlant de rivière, elle a décidé brusquement de couvrir la route ! Comme à mon habitude, j’attends de voir ce que font les locaux et je me lance.

Je m’en sors pas mal, je suis content. Je ne sais pas encore que ce que je viens de passer, c’était le bébé. Je rencontre la maman quelques kilomètres plus loin…

Les motos ont leur bac dédié. Je n’ai pas trop confiance dans ce rafiot, mais je n’ai pas le choix donc je me lance. 

La barque démarre et nous traversons le fleuve dont le courant nous déporte. Le batelier est obligé de remonter assez haut à contre-courant pour atteindre l’embarcadère sur l’autre rive.

J’observe sa manœuvre avec attention et ma crainte d’une arrivée moto à l’envers se confirme. Comble du problème, la sortie est en montée. Dans cette pente, pas moyen de tirer le cul de la moto en arrière, surtout avec son chargement.. Il va falloir la retourner dans le sens de la marche. Vu la largeur de l’embarcation, ça va être sport…

Enfin sur la terre ferme. À travers la brousse, sur un petit chemin de merde comme je les aime, je me prends pour un aventurier pendant quelques minutes et puis je retombe sur la route principale en construction. 

Du goudron sur 500 m et un panneau de bienvenue dans la jungle.

J’interroge un camionneur arrêté pour savoir quand reprend l’asphalte. Jamais. La route est en construction. Bon, ben ça va être plus long que prévu alors…

Le résumé en image.

Moi qui croyais arriver à Rurenabaque ce soir, me voici à San Francisco de Borja ; j’ai fait à peine 2/3 du trajet… Demain peut-être.

27 novembre 2018, de San Francisco à Runenabaque

Comme il ne reste que 150 km je traine un peu au lit même si je sais que je devrais partir tôt pour la chaleur. 150 km… Ça va.

Après avoir un peu trainé derrière un troupeau de vaches qui s’étalait sur toute la route, je tombe sur un obstacle encore inédit jusqu’ici. Il est 11 h et un peu avant d’arriver à Yucumo, carrefour où je prendrai la route qui m’emmènera dans la jungle, je remonte une file de camion arrêtés. C’est, d’habitude, le signe qu’il y a des travaux, mais étant tout petit à moto, je passe généralement à l’aise. Pas cette fois. 

Le barrage, le vrai, avec le tas de cailloux et tout. Une première. J’interroge autour de moi, on me répond qu’il y a un problème d’eau sans qu’on sache vraiment ce qui se passe. 

Bon… Du sable et des cailloux, en même temps, ça se déplace… Les deux motards à côté de moi on l’air d’accord pour dire que ça passe. On se lance.

Quelques centaines de mètres plus loin, deuxième barrage. Humain cette fois. Les gens du village sont là. Je descends de moto et pars glaner plus d’infos sur la situation.

Rien à faire donc, ils ne bougeront pas et ne laisseront passer personne. Je vais m’asseoir à l’ombre, sous un camion, à côté d’un camarade de galère. Il est arrivé hier. Il me dit que ça peut durer une semaine.

La patience n’est pas mon fort dans ce genre de situation. Je repars essayer de négocier, prétextant ma femme à l’hôpital à Rurenabaque, ils s’en battent le “narnar”, ils continuent à jouer aux cartes.

Ok, ça me casse les couilles, plan B. J’ai remarqué, lorsque j’étais sous mon camion tout à l’heure, des jeunes qui regardaient la moto avec intérêt. Qui de plus transgressif qu’un jeune. Je pars discuter moto avec eux. Puis j’oriente insidieusement la conversation sur les possibilités d’une route alternative pour contourner ce merdier. Ils se regardent, parlent rapidement en quechua, hésitent un peu et finalement me lâche l’info que j’attendais. Il y a moyen de contourner, mais le chemin, ardu, traverse une propriété privée, avec des marécages et il n’est pas fait pour une grosse moto. Je leur demande de me l’indiquer sur google maps. Ça donne ça.

Je passe une bonne demi-heure à hésiter et finalement je me décide à tenter le coup. Il est 13 h 30.

Je repasse le monticule de sable et de pierre et trouve l’entrée du chemin indiqué par les minos. Le terrain s’avère en effet humide et boueux. La chaleur rend l’exercice difficile. Je débouche sur une décharge après 10 minutes.

J’ai du louper quelque chose. Je reviens en arrière et trouve l’embranchement que je n’avais pas vu et pour cause, la trace est quasi inexistante. Je passe une première clôture. Enfin, les trois bouts de bois et le fil barbelé qui servent de porte à la clôture.

Toujours cette chaleur oppressante. Quelques virages dans la gadoue et je débouche sur un grand champ marécageux.

Je regarde ma carte et me dirige vers ce qui ressemble le plus à une issue. J’entre dans des sous-bois. Après une dizaine de mètres, j’hésite à continuer tellement je chemin est pentu, glissant et rocailleux.

J’ai les tempes qui battent la chamade et je dégouline de sueur.  

Finalement, la pensée d’avoir à attendre une semaine me donne des ailes, je me lance. Il s’en faut d’un poil que je passe par dessus la moto lorsque je plante ma roue dans une crevasse. Heureusement le poids, avec le chargement, la rend plus stable et me permet de rester accroché. Je passe un petit ruisseau au fond très mou et continue dans l’herbe grasse.

J’arrive à une fourche où je décide de prendre le chemin le plus praticable. Nouvelle clôture. J’en suis à peu près à la moitié du chemin. Il est 15 h. 

Vient le moment du pont foireux. Les quelques planches posées là en désordre ne m’inspirent pas vraiment confiance. Je descends de selle et vais marcher dessus pour tester. Ça à l’air de tenir. Je passe et me retrouve dans une côte herbeuse un peu glissante. J’accélère, la roue arrière patine et c’est la chute. 

Je suis en pente ce qui ne facilite pas les choses. Je dégage mes affaires et relève ma monture. Cet effort termine de tremper mon T-shirt déjà bien humide.

J’entends crier au loin ; j’aperçois deux silhouettes qui viennent dans ma direction derrière la clôture que je viens de franchir.

Sans doute les propriétaires venus me dire de dégager de leur propriété. J’en ai plus rien à foutre, je continuerai quoiqu’ils me disent. Je vais à leur rencontre. 

En me rapprochant, je reconnais la silhouette d’un des gamins qui m’ont indiqué cette route alternative. Il est accompagné d’un autre gamin dont, je l’apprendrai plus tard, le père est le propriétaire des lieux. Un troisième comparse les rejoint. Je reconnais un des motards qui attendaient au barrage. M’ayant vu partir tout déterminé, il m’a suivi. 

Les gamins, qui l’ont accompagné pour le guider, me disent que je me suis planté de chemin à la fourche et qu’il n’y a que des champs par là. 

Je recharge ma brèle, repasse le pont merdique, la clôture et les rejoins à la fourche. 

Il est 16 h. Mon confrère, qui a une petite moto et pas de bagages, part devant. Les deux gamins restent avec moi en trottinant à côté de la moto tout en m’indiquant la direction à suivre car maintenant il n’y a plus de trace. Ils m’amènent jusqu’à un pont, enfin, un tronc d’arbre brut, qui enjambe une crevasse. Il doit faire 50/60 cm de diamètre. Là franchement j’y crois moyen/pas du tout. Aucun appui latéral pour me récupérer si je perds l’équilibre, ce qui est fort probable en roulant sur un cylindre. Les minos me disent que c’est ça ou les marécages. 

Marécages ce sera. 

Commence la vraie bataille du trajet. J’ai en gros 500 mètres à faire dans un champ d’herbes mi-hautes gorgé de flotte. Les mioches sont à mes côtés, prêts à en découdre. On y va. J’essaye de viser les mottes un peu plus hautes que les autres pour avoir du dur sous les roues mais c’est un carnage ; je mets des bons coups d’accélérateur pour sortir de la flotte, les gosses poussent, tirent et soulève la moto dans tous les sens. Nous avançons chaotiquement, mais nous avançons. J’arrache la semelle de ma botte en sortant mon pied du marais, un de mes anges gardiens réussi à la récupérer. Je suis plus fasciné par leurs efforts et leur acharnement à me sortir de là que par le merdier dans lequel je me trouve. Après moult calages, éclaboussures, rebonds et embourbements, nous finissons par sortir de cet enfer. J’arrête la moto et fais une pause. La chaleur persiste. Il est 17 h. Je suis à bout de force. Nouveau pont de merde…

Nous ne sommes plus très loin de la route. Un homme à cheval arrive à notre rencontre ; les mômes paraissent inquiets. C’est le propriétaire des lieux, le père de l’un des deux. Il ne dit mot. Je le salue, à bout de souffle. Il hoche la tête toujours sans un mot, jette un œil à la moto puis aux ados et retourne à ses occupations. À ce stade, la scène m’indiffère. Nous arrivons devant ce qui sera le dernier obstacle mais pas des moindres. Un “pont” avec 4 planches en vrac qui craquent sous mon poids lorsque je vais les tester.

Mes deux sauveurs sont partis devant pour aller chercher d’autres planches plus solides je ne sais où. En attendant, je solidarise celles déjà en place avec des sangles et passe tous mes bagages de l’autre coté. Je meurs de soif, j’ai vidé ma bouteille depuis une bonne heure et je suis complètement déshydraté. Les gamins sont de retour avec une planche plus solide mais trop longue… Tant pis, on fera avec ce qu’il y a. Nous mettons la moto dans l’axe du pont, je me mets au point mort et passe devant. Je tiens le guidon en marchant à reculons et eux poussent doucement à l’arrière. Je transpire à grosse gouttes. 

Enfin la route. Je remercie ardemment les deux acolytes et leur lâche un billet bien mérité.

Je leur demande où je peux acheter de l’eau ; ils m’invitent à les suivre. Je remarque que j’ai tordu ma pédale d’embrayage ; je ne peux passer que la première. Je m’en fous, pour l’instant il me faut de l’eau. Je traverse donc bruyamment le village en première et me sépare de mes complices devant le magasin. Au moment où je vais y entrer pour acheter de l’eau, une femme, qui était au barrage, me reconnait et me demande avec insistance pourquoi ils m’ont laissé passer, je fais mine de ne pas comprendre. Je la vois alors partir en courant, de toute évidence pour aller chercher du renfort. J’entre dans l’échoppe, achète vite fait une bouteille de flotte et remonte sur ma moto. Je prends quelques secondes pour vérifier la direction que je dois prendre et je trace loin de ce cauchemar à fond de première. 

Après un petit quart d’heure de route, Je me mets sur le bas-côté, arrête le moteur, descends de selle, ouvre le coffre, attrape la bouteille et engloutis un bon litre avant de m’asseoir par terre et de réaliser ce qui vient de m’arriver. Irréel. Il m’aura fallu 4 heures pour faire ces 5 km de détours. Je ris.

Rurenabaque est à deux heures de route. Je sors une clé plate et remet ma pédale en place. Retour sur l’asphalte. Une promenade de santé. J’arrive sur place un peu avant la tombée de la nuit.

Me voici officiellement dans la jungle…

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