Into the wild


28 novembre 2018, Rurrenabaque, Bolivie

Je suis réveillé par le bruit assourdissant de la pluie sur les toits en tôle. Je sors et admire le patio détrempé.

La pluie ayant cessé de tomber, je pars à la découverte du village. L’épaisse végétation qui entoure la ville semble vouloir la grignoter et reprendre ses droits. Les rues, encore humides, fument sous les rayons hésitants du soleil. Des arômes de fleurs flottent dans les ruelles bordées de maisons colorées ; le village est calme et accueillant. 

Première mission, je me mets à la recherche du tour-opérateur qui me proposera un séjour dans la selva (jungle). Je me renseigne à droite et à gauche et aboutis chez Mashaquipe. Leur charte éthique me plait bien. Ils travaillent avec les communautés qui vivent dans la jungle et financent beaucoup de projets écologiques en lien avec les énergies durables et la préservation de la forêt. J’opte pour l’excursion de trois jours, la seule correspondant à mon budget. Nous seront trois, accompagnés d’un guide. J’ai conscience d’arriver en pleine saison des pluies et que ce n’est pas le meilleur moment pour voir des animaux, mais ce que je veux, c’est « sentir » la jungle, m’immerger dans cet environnement hostile. Le départ est fixé au lendemain. 

Je continue mon tour de la ville et m’arrête un moment sur les bords du fleuve Rio Alto Béni pour me sustenter. Brochettes de poulet et purée de je-ne-sais-quoi, mais très bon.

Rurrenabaque est coupée en deux par le fleuve. Un pont est en construction, mais en attendant, de longues pirogues à moteur assurent le passage entre les deux rives. 

Deuxième mission aujourd’hui, trouver un cordonnier capable de réparer ma botte. Le ballet des « Essaye le magasin trois blocs plus loin » commence. C’est aussi un bon moyen de découvrir une ville. Je trouve finalement mon bonheur à côté du marché. Un homme sans âge et visiblement très occupé accepte ma requête. Ce sera prêt dans trois jours. Parfait, cela coïncide avec mon séjour dans la jungle. J’ai rempli ma mission.

Il se remet à pleuvoir, mais on ne va pas s’arrêter pour trois gouttes.

Je pars prendre un peu de hauteur vers le mirador perché au sommet d’une colline qui domine la ville. La chaleur moite rend l’ascension lente et les vêtements poisseux.

La première partie est pourvue d’un bel escalier en pierre que la nature recouvre délicatement de mousse d’un vert criard. 

Lors d’une petite pause, je passe un moment à observer le déplacement de ce qui ressemble à un mille-pattes. On admirera la synchronisation parfaite entre la première et la dernière patte. 

Je poursuis la montée, parsemant le sol d’énormes gouttes de sueur.

Soudain, un escargot me barre la route. Je l’observe de plus près. Il semblerait qu’il ait forniqué avec un bernard-l’ermite le coquin. À moins qu’après un combat d’une violence inouïe, il lui ait arraché sa carapace et la porte à présent en trophée pour dissuader ses prédateurs de faire les malins avec lui. Badass

Après la séquence “30 millions d’amis”, j’arrive enfin au sommet. Vue plongeante sur le pueblo, le fleuve et la jungle qui l’entoure.

Les nuages bas flottent doucement au dessus du paysage. Un mélange de fascination mêlée de crainte m’envahit. Je reste un moment, perché là, à observer l’immensité verdoyante qui s’étend devant moi.

La petite bruine rafraîchissante qui me balayait le visage s’intensifie et finit par me déloger de mon perchoir. Je redescends vers mon hôtel.

À mon retour, je remarque plusieurs portraits accrochés aux murs du patio. Ce sont des dessins au fusain sur papier kraft. La précision des détails est exceptionnelle.

Je m’enquiers de leur auteur auprès du propriétaire des lieux. C’est lui-même qui les réalise. Je le félicite. 

Je passe un peu de temps dans le patio à jouer avec le chien qui a vraiment une gueule atypique avec ses yeux vairons. 

Je retourne dans mes quartiers préparer mon sac pour demain. 

Anti-moustique ++3000, poncho de pluie en plastique, Timberland, appareil photo, crème solaire, lampe frontale, 2 T-shirts manches longues, serviette, bouteille d’eau, PQ… A priori, je suis prêt. 

29 novembre 2018, Parc Madidi, Bolivie

Une voiture passe me prendre à l’hôtel à 7 h. Elle m’emmène à l’agence où j’ai rendez-vous avec le guide et mes deux compagnons d’aventure. Luke, un néo-zélandais d’une trentaine d’années avec un accent anglais redoutable, a l’air d’être un bon baroudeur et ressemble énormément à Mel Gibson. Mon autre camarade d’expédition est une allemande dont j’ai oublié le nom tellement elle fut timide et discrète ; une petite brindille, chemise boutonnée jusqu’au cou, manches déroulées et serrées aux poignets, crème solaire tartinée sur chaque centimètre de peau apparente, chapeau vissé jusqu’aux oreilles et un sac à dos faisant quasiment sa taille ; la jungle semble l’impressionner encore plus que moi. Le guide a l’air sympa mais peu loquace. 

Nous nous rendons sur le bord du fleuve pour prendre l’une de ses longues et élégantes pirogues en bois. Elle craque un peu, mais offre un goût d’authentique. Nous remontons le fleuve à contre-courant pendant une cinquantaine de kilomètres (3 h 30). C’est exactement comme je l’imaginais, fleuve marron au milieu d’une jungle exubérante.

Nous bifurquons vers un plus petit bras de rivière. Quelques minutes plus tard, nous accostons et le guide nous présente l’endroit. Nous sommes dans une communauté qui vit de la culture de la canne à sucre et des pommes de terre. Ils travaillent à l’ancienne, sans machine. C’est une escale — sans doute “touristique” — avant le camp où nous passerons la nuit. Nous empruntons un sentier pour arriver à la plantation. Sur place, nous avons droit à des explications que je n’écoute que d’une oreille car mon regard est attiré par une machine en bois dont j’essaye de comprendre l’utilité et le fonctionnement. 

Voyant mon attention dissipée, le guide m’invite à m’approcher de l’objet de ma curiosité. 

C’est une machine à broyer la canne à sucre pour en extraire le jus. Il me met à l’épreuve. Je fais tourner la presse pendant qu’il insère les tiges entre les rouleaux pour les broyer. Le jus est récolté dans une rigole qui mène à une gouttière conduisant à une bouteille où termine le précieux jus. 

Il est ensuite filtré par un linge et atterri dans un bol que le guide me tend pour une dégustation. Incroyable. Un peu laiteux, une douceur sucrée sur les papilles, je me régale.

Bien entendu les bouteilles à vendre nous sont ensuite proposées. 

Nous faisons un petit tour de la propriété jusqu’à une pierre sculptée datant apparemment de la période pré-inca (avant le XIIIe siècle). Le guide nous fait le coup du “Peut-être qu’elle vient d’ailleurs…”. Waw. 

Quoi d’autre ? Sur le chemin du retour à la barque, il s’arrête prêt d’un arbre et me montre une sorte de protubérance qu’il soulève avec un bout de bois.

Surprise !!

Beau bébé la tarentule. Notre amie allemande recule de dix pas alors que Luke et moi tentons d’approcher nos smartphones au plus près pour tenter la photo. 

Retour au bateau.

Nous repartons pour une petite heure de navigation avant d’arriver au camp. Je remarque que le guide a une certaine idée de l’élégance…

À peine à terre, il se retourne vers nous et nous énonce les trois règles à suivre impérativement :

  1. Dans la jungle, on ne touche à rien ;
  2. Dans la jungle, on regarde constamment où on met les pieds ;
  3. Dans la jungle, on suit le guide, on ne part pas se balader tout seul.

Simple, court, efficace, j’aime bien. Ici, ce ne sont pas tant les moustiques que les fourmis qui te font des soucis. 

Le camp est bien aménagé (trop à mon goût), un grand réfectoire circulaire au toit en paille pour les repas et quelques bungalows disséminés sur le terrain.

Je partagerai le mien avec Luke alors que, à son grand désarroi, notre compagne de voyage sera seule (humaine) dans le sien. Nous la rassurons en lui disant qu’en cas de soucis (rien en dessous de la taille d’une mygale, faut pas déconner non plus…) nous serons juste à côté. Nous avons une petite demi-heure pour poser nos bagages et nous reposer avant le déjeuner. 

Nous découvrons nos quartiers d’une simplicité conforto-spartiate, deux lits, deux moustiquaires, une table.

Nous nous rendons tranquillement au déjeuner en contemplant, perplexes, les tranchées que les fourmis ont laissées sur le sol…

Déjeuner à l’occidentale avec les produits locaux. Un buffet bien garni avec salade, riz, frites, poisson grillé, viande en sauce, sauté de légumes. Moi qui était chaud pour un ragout de fourmis et des beignets de tarentule…Après ce copieux repas et un bon café nous partons explorer la jungle.

Je découvre cet arbre aux racines étranges. 

C’est « l’arbre qui marche », oui, qui marche. Ce palmier se déplace pour trouver un meilleur spot au soleil. Bon, on n’est pas sur un marathonien non plus. Il bouge d’un mètre par an, mais c’est déjà une bonne perf’, on parle d’un arbre…

Ensuite, nous avons droit à la blague de guide. Il nous donne à chacun plusieurs feuilles glanées sur le chemin et nous demande de les sentir. Regards interrogateurs collectifs. On ne sent rien. « Il faut les frotter fort dans ses mains » nous dit-il. Nous nous exécutons. Oh surprise, en ouvrant les mains notre peau est maintenant de couleur violette.

Petite panique du côté de notre aventurière teutonne qui demande immédiatement quelle est la nature et la composition chimique de cette abomination. Luke et moi réprimons un fou rire devant la drôlerie de la scène. Le guide nous explique que c’est une teinture naturelle utilisée par les indigènes. Accessoirement, on en a pour deux semaines avec les mains violettes. Quel farceur, je me demande si ça déteindrait sur sa joue…. Continuant notre chemin, nous tombons nez à nez, littéralement, avec une fourmilière suspendue dans un arbre. Intéressant le bruit quand on tape dessus…

Petite pause sur les racines centenaires d’un arbre magnifique d’une cinquantaine de mètres de hauteur. Hilde (j’ai décidé d’appeler ma camarade allemande comme cela pour plus de commodité) reste debout à inspecter autour d’elle, dessous, au dessus…

Nous reprenons la route, de moins en moins visible et un nouveau défi se profile pour Hilde. Elle le relève avec brio. 

Le guide, depuis le début, s’arrête souvent brusquement pour écouter ce qui se passe dans la canopée, tentant de repérer des singes ou des oiseaux à nous montrer. Sans succès pour le moment. Alors on fait avec ce qu’on a sous la main, enfin, sous les pieds. Les fourmis. 

Il nous présente « les découpeuses ». Leur but dans la vie, c’est de découper de la feuille. En masse. 

Elles sont impressionnantes à regarder. La vitesse à laquelle elles découpent leurs feuilles me laisse ébahi. 

Fin de la boucle dans la jungle. Pas si dingue, je m’attendais à plus dense. Le guide m’explique alors qu’aujourd’hui, c’était une mise en jambe sur un sentier balisé. Demain nous partons pour 5 heures de randonnée jusqu’au camp se trouvant dans une partie plus profonde de la jungle où nous passerons la nuit. Ça me va. 

Le soleil disparaît doucement à travers les arbres. Nous avons un peu de temps avant le diner. Un endroit nous semble approprié avec Luke pour nous poser et discuter. 

Je secoue instinctivement le hamac et me pose au fond. Nous discutons de nos vies respectives un moment et, au bout d’une dizaine de minutes, Luke sort du hamac un peu gêné. Quelque chose l’a piqué semble-t-il. Je regarde…

Oui y’a comme un petit truc… Luke n’a pas secoué le hamac. Les fourmis et moustiques présents dans le fond se sont donc sentis légèrement agressés par sa présence et ont répliqué. Répliqué fort.

Ça a l’air violent sur la photo, mais tout était parti le lendemain soir. 

Repas léger et retour au bungalow pour une nuit chaude et humide.

30 novembre 2018, Parc Madidi, Bolivie

Il est 6 h, je suis réveillé par la pluie. La pluie tropicale. Lourde, dense, bruyante sur le toit de paille de notre bungalow.

Petit déj’ à l’occidentale. Papaye, ananas, pastèque, œufs brouillés, pancakes et café. La classe. 

Nous enfilons les habits de pluie, le guide nous prête des bottes en caoutchouc. Heureusement, vu ce qui tombe, mes Timberland n’auraient pas tenu longtemps.

Nous prenons le chemin du camp au fond de la jungle — enfin au fond… — à une demi-journée de marche. Au fur et à mesure que nous nous enfonçons, mon ventre m’envoie les signes précurseur d’un bon dégueulis. La sensation se fait de plus en plus intense. Quelque chose du petit dej’ ne passe pas. Nous arrivons à un mirador naturel avec une sublime vue sur le fleuve et la jungle délicatement recouverte d’un nuage épais qui interdit d’apprécier toute son immensité.

Je regarde le paysage 5 minutes et rend tout mon petit déj’ au pied d’un arbre. Œuvre caritative pour toutes les bestioles qui grouillent sur le sol. Ça va mieux. Nous reprenons la marche. Pas si facile avec la pluie. Il n’y a plus de sentier, il disparaît sous l’eau qui submerge peu à peu le tapis de feuilles mortes et de branches en tout genre sous nos pieds.

La végétation est très dense. Nous évoluons difficilement en enjambant des troncs et en passant sous des racines ; le sol est rouge et glissant, nous avons de l’eau jusqu’à mi-bottes. Là, pour le coup, je la sens bien, la jungle. 

À présent le sentier s’est transformé en ruisseau. Nous marchons sur les côtés en tachant de ne pas laisser une botte dans le sol vaseux. Nous sommes constamment suivi par un nuage de moustiques, chacun le sien. Le Off ++3000 semble efficace, pas de piqure jusqu’ici. 

Vers 12 h nous arrivons au camp. C’est succinct. Un toit de bâches sans murs couvrant une plateforme sur pilotis avec des matelas et des moustiquaires. Du “roots”, du vrai. Un peu plus haut, une cuisine de brousse. Magnifique.

Nous nous installons et faisons connaissance avec la faune locale, ce qui n’est pas pour ravir Hilde. 

Après le déjeuner nous partons visiter les alentours. Nous pouvons, de nouveau,  admirer le travail de dentellière de nos amies les fourmis croqueuses de feuilles.

Il s’est arrêté de pleuvoir, mais les eaux ont élu domicile sur le territoire. De la boue en veux-tu en voilà.

Nous apprenons à faire une flute avec des jeunes pousses de bambous. Oui je sais, c’est passionnant. 

Le guide nous emmène jusqu’à une tour en bois, pour observer des perroquets qui ont fait leurs nids dans la falaise. On les voit, de loin… Je pourrais mettre une photo des trous dans la falaise mais ça n’a aucun intérêt. Ils sont comme les pingouins, en couple pour la vie. On en apprend des choses ici…

Sur le retour, je suis surpris, au détour d’un buisson, par un jaguar…

…en bois. Sont farceurs ici.

Toujours sur le retour, nous croisons une tortue qui tente de traverser l’autoroute de boue. À son rythme. Elle nous cède la priorité avec un regard envieux pour nos bottes en plastique.

Retour au camp en fin d’après-midi. Diner à la tombée de la nuit.

Ce soir nous partons en expédition nocturne. J’éprouve un sentiment mitigé. Entre l’envie et le pourquoi…

À peine sorti du camp, je tombe nez à nez, littéralement, avec cette charmante dame de la taille d’un gros pouce.

Je la laisse à son tricot et continue à suivre le guide de très près. Il s’arrête toutes les 5 minutes pour observer le haut des arbres à la recherche des singes que nous entendons tout autour de nous. Impossible de les voir. Après une heure de recherche, il nous explique que, vu la pluie et la saison, ce sera difficile. Nous rentrons nous blottir sous les moustiquaires pour nous endormir au son de la jungle. Bruyant la jungle… 

1 décembre 2018

Réveil avec le jour et un papillon albinos à côté de mon lit.

Retour aux vêtements pluie. Aujourd’hui, surprise, on construit un raft et on rentre avec. Je jubile. Nous nous mettons en route vers le fleuve. Le ruisseau nous sert de chemin. 

Nous voici au fleuve. Pour nous mettre à l’aise, le guide nous informe de la présence occasionnelle de crocodiles dans le coin. Même pas peur.

Les choses sont bien faites, 5 troncs déjà découpés nous attendent près de la berge. Tant mieux, nous n’aurons pas à couper d’arbres. Le bord du fleuve est recouvert d’une vase profonde, mais bon, quand faut y aller, faut y aller. Hilde décline, elle préfère rentrer en bateau. Luke et moi nous nous prenons au jeu et nous sentons une âme d’Indiana Jones. Nous descendons le bois sur la rive. 

Le guide descend dans le fleuve, Luke le suit.

Je reste sur le bord pour gérer le bois. J’aime la boue. Va comprendre…

Nous alignons les cinq troncs ; deux autres branches, plus petites, serviront à les solidariser. 

Comme j’ai été bien élevé, qu’apparemment Luke aussi et que nous connaissons bien nos nœuds, nous débattons avec passion de la meilleure manière de fixer nos traverses sur notre futur radeau. Nous tombons d’accord sur le système. On se régale.

Les deux côtés du raft ficelés, nous sommes fin prêts pour le fleuve. 

C’est parti.

Une bonne heure de plaisir à tenter de rester debout sur le raft, passer les rapides, éviter les troncs d’arbres, surfer sur les crocodiles, nan, je déconne… 

Nous arrivons au premier camp ravis de notre virée d’aventuriers en herbe. Nous récupérons nos sacs au bungalow et repartons pour Rurrenabaque en pirogue.

Belle expérience. Je suis, une fois de plus, impressionné par la capacité des hommes à s’adapter à tous les milieux. Et la jungle n’est pas facile.

La nuit venue, je retrouve Luke et sa femme dans un bar pour une bière bien méritée. 

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