DeathRoad my ass…

2 décembre 2018, Rurenabaque, Bolivia

Réveil pluvieux et mal au crâne. Je pars quand même en mission récupérer ma botte. C’est bien calme me semble-t-il… Le marché parait fermé. Et mon cordonnier aussi. Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui. “C’est dimanche”, me répond la mamie qui tient l’étal où j’achète une banane rôtie. J’ai peut-être un peu forcé sur la bière hier…

Je vais me poser un moment au bord du fleuve pour regrouper mes idées. Je passe un certain temps à regarder les bateaux lutter contre le courant. On dessaoule comme on peu.

La pluie me ramène à l’hôtel ; pas trop la force ni l’envie de lutter contre les éléments aujourd’hui.

Dans L’après midi, je retourne au marché voir si par hasard le cordonnier est ouvert. Bingo ! Ma botte est réparée. Elle a perdue une demi-taille dans la bataille et le cordonnier me la rend sans la semelle intérieure. Je passe une bonne demi-heure à expliquer au monsieur que si, il y avait une semelle et que je ne partirais pas d’ici sans elle, démerde-toi, tu la trouves maintenant ! Après une discussion enflammée, je me résous à accepter une autre semelle parce que le cordonnier, qui a l’air d’avoir la même gueule de bois que moi, a fouillé partout et n’a pas trouvé l’originale. Retour à l’hôtel.

Mes bagages enfin au complet, je prépare mon sac pour demain. La route m’appelle. 

3 décembre 2018 vers Coroïco

Tout est prêt. Je charge. Je ficelle tout bien comme il faut. Je laisse tourner le moteur 5 minutes et me mets en route. Flap, flap, flap. Roue arrière crevée. Je fais le tour de la place, retourne à l’hôtel décharger et me mets en quête d’un mécano. J’en trouve un au premier carrefour. Démontage de roue, sortie de chambre à air, rustine, remontage, 20 minutes plus tard je retourne charger mes bagages. Cette fois c’est la bonne. Je pars vers le sud par la route d’où je suis arrivé et me dirige vers “El Camino de la muerte“ à 350 km de là. Les paysages de jungle me ravissent, je m’arrête fréquemment pour en savourer les couleurs.

Une bonne partie de la route est toujours en construction. Trop à mon goût. Je suis comme dans un champ qui vient d’être labouré…

Je repasse par Yucumo, le village où il y avait le barrage, sans m’arrêter cette fois-ci et rejoins la Ruta 3, La Ruta de los Yungas. Je retrouve les montagnes vertes aux pentes vertigineuses et je suis un petit couple d’amoureux à moto pendant les deux dernières heures de route. Je suis bluffé par leur faculté à rester propres sur ces routes imbibées…

L’arrivée à Coroico se fait par une route pavée de petites pierres lisses bien rangées. Avec un ruisseau au milieu. Coroico se trouve au sommet d’une colline. Donc la route monte. Je résume : petites pierres lisses, mouillées, en pente. Un souci l’ascension… Ça patine fort.

Je trouve un Hostel avec “garage”.

Je pose mon barda et vais voir un peu le village. Les rues sont pentues, les escaliers raides, et les piscines vides, mais la vue sur les montagnes en face rend l’ensemble harmonieux.

Je grignote un bout sur la place centrale et remonte lentement jusqu’à ma chambre. Faut que je dorme, demain j’ai “Route de la mort” !

4 décembre 2018 vers Juli

Je quitte Coroico et ses rues pavées. La brume matinale dans la vallée ne s’est pas encore dissipée et la route se dévoile au fur et à mesure que j’avance. L’entrée du Camino de la Muerte se situe sur le versant d’en face.

Bref, La Ruta de la Muerte, c’est fait. Du coup, comme ça m’a pris beaucoup moins de temps que prévu, je me dis que je peux passer la frontière péruvienne aujourd’hui. L’envie de retrouver Lucila se fait de plus en plus pressante. Direction La Paz puis Copacabana. Un peu avant d’arriver à La Paz, je sillonne un flanc de montagne au dessus d’une vallée impressionnante. Les montagnes alentours sont noires et dramatisent l’atmosphère. 

La Paz. Je n’ai absolument aucun désir de m’arrêter là même si je trouve l’endroit impressionnant. 

Je décide de ne pas contourner complètement la capitale, curieux quand même de m’immerger dans ce séduisant chaos. Je prends donc une route qui surplombe la ville pour m’imprégner de l’ambiance. En toile de fond le Nevado Illimani, qui culmine à 6400 m, me rappelle que La Paz est la plus haute capitale du monde à 3600 m. 

Klaxons, odeurs de friture, poussière de chantier, doublage par la droite, téléphérique au dessus de la tête. Beaucoup d’informations comme dans toutes les capitales. Je fais quelques pauses pour prendre des photos et sors finalement de la ville après une bonne heure. Je remonte sur l’altiplano et je prends la route du nord pour passer par Copacabana qui, parait-il, vaut le coup d’œil. 

Une bonne heure de route et les rives du lac Titicaca se présentent à moi. Un bleu froid et profond. Les sommets enneigés de la Cordillère s’érigent au fond du tableau. 

L’air est frais et pur. J’avance en savourant cette merveille. La route qui longe la rive est à quelques centaines de mètres au dessus du lac ce qui m’offre une vue d’ensemble imprenable.

J’arrive à Tiquina, l’endroit où je dois prendre le bac pour traverser un bras du lac. Après avoir laissé passer un camion, je cale ma moto à côté de trois mamitas coiffées de leur traditionnel chapeau, exhibant fièrement leurs longues tresses. Une fois le bac plein, deux hommes, à l’aide de grandes perches de bois, le dégagent péniblement du rivage.

Mes doutes sur la solidité du rafiot s’estompent lorsque j’en aperçois un, naviguant tranquillement en sens inverse, avec à son bord un car à deux étages rempli de monde. 

Les trois Cholitas me regardent du coin de l’œil en parlant quechua. Quelque chose à l’air de les intriguer. Finalement l’une d’entre elles se décide à me demander : “C’est une antenne sur ta tête ?”. Je réalise alors que j’ai laissé la GoPro sur le haut de mon casque. Je ris. Je leur explique que c’est une caméra et engage la conversation. Je leur demande si je peux les photographier, mais, comme à chaque fois en Bolivie, la réponse est négative. Je suis donc obligé de voler une image.

Une fois à terre, elles me souhaitent bon voyage et s’en vont, dodelinantes, vaquer à leurs occupations. Je poursuis mon chemin à moitié hypnotisé par le bleu du lac.

La légende raconte que le trésor des Incas serait caché au fond. Trop glaciales pour être explorées, les eaux du lac Titicaca à 3800 ont longtemps gardé leurs mystères ; ce n’est que depuis 2014 que des expéditions belges et boliviennes ont commencé à sonder ses profondeurs.

Je passe une colline et j’aperçois Copacabana. Village ancré sur les berges du lac à côté d’une petite colline, le temps semble s’être arrêté dans cette partie du monde. Je reste un moment là à contempler la beauté du lieu.

Après ce moment de béatitude, je continu ma route jusqu’à la frontière. En chemin un racoleur d’hostel essaye de m’intercepter en prétendant que le poste frontière est fermé et que je ferais mieux de venir me reposer dans son boui-boui. Que nenni. “Je vais tenter ma chance”, lui dis-je avec un sourire narquois. Comme je l’imaginais, le poste est ouvert et fonctionnel. J’entre sur la terre des Incas.

Je longe encore le lac pendant une bonne heure, jusqu’à ce que la nuit tombe, afin de me rapprocher le plus possible de La Vallée Sacrée que je compte bien atteindre demain pour retrouver Lucila. 

Je fais escale à Juli, petit village au milieu de collines donnant sur le lac. J’arrive au crépuscule, les faibles lumières jaunâtres de la ville viennent de s’allumer. Je tourne pour trouver un endroit avec un parking pour la moto, sans succès. Je suis finalement interpellé par deux petites bonnes femmes qui m’invitent à découvrir leur hôtel.

Elles me proposent de garer la moto directement dans l’hôtel, à côté de l’accueil, sous l’escalier. En avant !

Aujourd’hui j’ai droit au tigre. La classe. 

Je sors me sustenter. Il semble qu’il y ait une coupure générale d’électricité dans la ville ce qui rend ma quête gastronomique des plus étrange. J’avance à la lumière de mon téléphone. Je croise des silhouettes sans visages, une foule d’ombres siège sur la place centrale. Je fini par trouver un endroit où manger.  Seule une bougie éclaire la pièce. Les gens mangent dans la pénombre, sans bruit. J’attaque mon poulet avec entrain car j’ai sauté le déjeuner. Repu, je reprends la route de l’hôtel. En chemin, dans une rue obscure, j’entends de la musique et distingue du mouvement. Les phares d’une voiture me laissent découvrir un flash-mob !

La lumière revient. Je reste un moment à les observer. Par curiosité, je demande aux mamies assises là quel est ce rituel folklorique.

Elles me répondent, un peu condescendantes, qu’il fait froid, c’est pour se réchauffer. Ça fait sens. Une jeune femme ayant suivi la conversation m’explique que c’est la danse de Juli et que lorsque le vent souffle du lac et qu’il fait bien froid, les jeunes du village exécutent cette chorégraphie pendant des heures pour se réchauffer le corps et le cœur. Touchant. 

Je passe un moment à les regarder répéter la danse de Juli, puis je rentre dans mes quartiers, car ils ont raison, le vent du lac glace les os (eaux). 

5 décembre 2018 vers Urubamba

Je quitte Juli et ses danseurs après un petit déjeuner sommaire (rien d’ouvert à 6 h), je me contente du café de la veille qui restait dans le Thermos. Froid, mais bon, on fait avec ce qu’il y a. J’ai 500 km à faire pour rejoindre Lu à Urubamba. Je pense que c’est jouable, mais faut pas trainer. 

Quelques kilomètres après la sortie du village, la route bifurque vers l’intérieur des terres. Le paysage devient plus monotone, je n’ai pas d’autre idée en tête que d’arriver à Urubamba avant la nuit. Du coup j’accélère. Puño, Juliaca, Sicuani, San Salvador. J’aperçois le train qui mène au Machu Picchu.

J’entre dans la Vallée Sacrée des Incas. Les montagnes sont vertes, accueillantes et dégagent une impression de bienveillance, le Rio Urubamba serpente dans la vallée, les petits villages se succèdent, la vue est paradisiaque, on dirait un film tellement cela parait irréel. 

Le soleil vient de passer derrière les montagnes lorsque je tourne sur Chac Huar, la rue où vit Lucila. Mon cœur bat un peu la chamade, je m’enfonce doucement dans la montagne. J’hésite un peu et trouve enfin la porte d’Asaya. J’éteins le moteur, mets la béquille, et brutalise la porte de mes phalanges serrées. Un homme au cheveux longs et noirs m’ouvre la porte. Il me salue et me demande comment il peut m’aider. Je n’ai pas le temps de répondre, j’entends un cri dans le jardin. Lucila accoure. Retrouvailles.

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